10 questions sur le bégaiement
Ceux qui me connaissent savent que je bégaie et, quelques fois, d’une façon persistante. Discuter avec quelqu’un sans le faire et le refaire, c’est toute une affaire. Je suis, donc, bien concerné par la Journée Mondiale du Bégaiement (JMB) qui se tient tous les 22 octobre. Une date qui coïncide, par ailleurs, avec la veille de mon anniversaire. Au Sénégal, contrairement à beaucoup d’autres pays africains, il ne se passe rien pour la JMB. Pas de manifestations, pas de conférences sur le thème, pas de projection de films comme « le discours d’un roi », même pas un article dans la presse. Normal me diriez vous puisqu’il n’existe, pour le moment, aucune association de personnes bègues dans le pays. J’ai donc décidé de célébrer cette journée à ma façon en publiant 10 questions sur le bégaiement qui m’ont été posées par des amis via facebook. Des questions que j’ai répondues en fonction de mon vécu personnel, de ce que j’ai pu apprendre par mes lectures et dans plusieurs numéros de l’émission Priorité Santé sur RFI consacrés à ce thème.
Yusuf Slt : Quelles sont les causes du bégaiement ?
Les causes du bégaiement sont encore pauvrement comprises. Personnellement, je ne sais pas d’où m’est venu ce trouble. Personne d’autre ne bégaie dans ma famille. Sauf un de mes oncles paternels âgé de plus de 60 ans. Mais je n’ai jamais vécu avec lui et je ne le voyais que très rarement. Pour te dire que je n’ai jamais été en contact avec une personne bègue et écarter la thèse selon laquelle c’est en imitant un bègue qu’on le devient. En tout cas, je ne me souviens pas, durant mon enfance, d’un évènement qui pourrait expliquer mon bégaiement.
Je suis de près l’évolution de la recherche dans ce domaine. Et pour le moment, les chercheurs n’accordent pas leurs violons en ce qui concerne les origines de ce trouble. Cependant, la thèse génétique ou neurologique est de plus en plus agitée. En 2010, dans un article publié dans la revue New England Journal of Medcine, des généticiens américains ont parlé de la mutation de 3 gènes du chromosome 12 qui serait responsable ce problème de communication. Mais tout cela reste à l’état de recherche.
Pour moi, je peux te dire qu’il y a des facteurs qui accentuent mon bégaiement : c’est surtout la fatigue, la nervosité, le stress quelques fois… C’est pour cela, d’ailleurs, que je n’aimais pas beaucoup les cours de communication en entreprise dans l’après midi.
Kala Diagne Fall : Pourquoi on ne bégaie pas lorsqu’on chante ?
Beaucoup, sinon toutes les personnes bègues ne bégaient pas quand elles chantent, murmurent, quand elles imitent un accent… Le cas du chanteur sénégalais Thione SECK est assez édifiant. Le bégaiement n’apparaît pas non plus lorsqu’on imite un personnage comme au théâtre. Il ne se manifeste qu’en présence d’un interlocuteur. C’est pourquoi le Ministère Français de la Santé le définit comme étant « un trouble de l’expression verbale qui affecte le rythme de la parole en présence d’un interlocuteur. »
Mais comme les causes du bégaiement ne sont pas bien connues, il est difficile de savoir pourquoi il n’apparaît pas dans certaines situations.
Djiby Saou : J’ai remarqué, lors de ton passage à Rfi dans l’émission ‘’l’Atelier des Médias’’, que tu n’as pas bégayé du tout. Tu fais exprès de bégayer, c’est ça ?
Beaucoup de personnes m’ont fait cette remarque. Et certains pensent toujours que je bégaie volontairement.
Ce n’est pas logique de penser qu’on peut faire exprès de bégayer pendant plus de 20 ans. Déjà c’est extrêmement ennuyeux et quelques fois il faut fournir un effort de titan juste pour aligner deux phrases.
Cela peut paraître un peu étrange. Mais dans presque toutes les situations où je me mets devant un micro ou une caméra j’arrive à parler sans difficultés apparentes.
J’ai deux explications par rapport à ce phénomène. D’abord, dans ces cas là, c’est comme si je n’ai pas d’interlocuteur en face de moi. Dans ma tête, c’est comme si je discute avec le micro ou la caméra, et là les paroles deviennent fluides. Ensuite, dans ces situations, je ne parle pas naturellement comme je le fais dans la vie courante. Je me mets toujours dans la peau d’une autre personne. C’est un peu comme au théâtre, on se met dans la peau du personnage et on adopte son accent, sa voix etc… Et quand on joue du théâtre, c’est comme lorsqu’on chante, on ne bégaie pas.
J’ai une fois entendu sur RFI le témoignage d’une animatrice radio – télé en Côte d’Ivoire. Elle disait qu’elle a le même problème. Devant le micro à la radio elle est formidable. Mais dans la vie courante, devant ses collègues, ses amis ou en famille elle a des problèmes pour bien articuler un mot.
Il n’y a qu’une seule fois où j’ai volontairement bégayé pendant plusieurs minutes. C’était à l’école primaire, pour échapper à la récitation d’une leçon que je n’avais pas bien apprise.
Médoune Fall : Est-ce tu considères le bégaiement comme un handicap pour tes études et tes projets ?
En classe j’ai toujours des problèmes avec les exposés ou pour exprimer un point de vue lors des débats. Mais cela ne m’empêche nullement de prendre la parole. Les formateurs et les camarades s’y sont habitués déjà. Cependant, je redoute ma prochaine soutenance qui se fera devant un jury étranger.
En entreprise mon bégaiement me bloque souvent , surtout avec le téléphone. Pour répondre correctement aux appels c’est la croix et bannière. Et je me sens mal à l’aise avec ma hiérarchie. Il y a également les préjugés des autres collègues, surtout au début, qui doutent de mes capacités. Souvent je me demande si mon bégaiement ne va pas limiter ma carrière professionnelle. D’habitude pour se voir confier des responsabilités il faut avoir une excellente communication orale. Mais bon ! Pour le moment ça se passe bien en classe comme en entreprise. Je n’attribue aucun échec scolaire ou professionnel à mon bégaiement.
Je me dis parfois que ce problème ne peut nullement constituer un blocage pour mes projets. D’ailleurs on a l’exemple de beaucoup de personnes qui malgré leur bégaiement ont particulièrement bien réussi dans tous les domaines. Je pense à Einstein, Molière, Joe Biden (actuel vice président américain) et tant d’autres.
Thiatt Mou Baye, Médoune Fall, Alimou Sow : Comment tu te sens, psychologiquement parlant, si tu veux t’exprimer et que ça bloque ? T’arrive t-il de t’énerver, par exemple, notamment quand on essaie de terminer tes phrases ?
Disons que dans certaines situations c’est surtout de la frustration. Je m’en veux quelques fois d’avoir une élocution catastrophique. Mais avec les amis ou en famille ça ne me pose aucun problème.
Terminer les phrases des personnes qui bégaient est souvent déconseillé par les orthophonistes. Mais personnellement cela ne me gène pas du tout. Au contraire.
Médoune Fall : Si tu veux draguer une femme, est-ce que tu n’as pas de complexe par rapport au fait que tu bégaies ? Autrement dit, est-ce que ça ne t’empêche pas de parler aux filles ?
Au début cela posait effectivement un problème. Mais maintenant je considère le bégaiement comme un atout dans mes conquêtes. Et, souvent ça marche bien. Beaucoup de filles pensent c’est sexy de bégayer à condition de ne pas en faire trop évidemment. Attention ! Je ne suis pas Cheikh iri. Encore moins Tamsiri, d’ailleurs. Mais pour émerger d’un lot de 10 prétendants à une femme il faut bien avoir un petit quelque chose pour se démarquer des autres. Et là, quand on est bègue on ne passe jamais inaperçu.
Alimou Sow : Chez nous en Guinée on dit souvent que le début du mois lunaire endurcit les difficultés de parole pour les bègues. Est-ce vrai chez vous ?
C’est la première fois que j’en entends parler. Je ne pense pas que les débuts de mois ont une quelconque influence sur le bégaiement. C’est peut-être une croyance ancestrale qui n’a aucune base scientifique. Ce que je remarque chez moi c’est qu’il y a des périodes de l’année ou je bégaie beaucoup plus. Généralement c’est entre les mois de Mai et Août. Et je pense c’est dû à la fatigue parce que cette correspond à la fin de l’année scolaire.
Alimou Sow : En tant que personne victime du bégaiement, préfères-tu exprimer tes idées en paroles ou par écrit ?
Pour bien me faire comprendre je préfère de loin la seconde option. Cela peut expliquer ma passion pour le blogging. Même dans ma vie de tous les jours ça se voit que je préfère plus l’écriture. Je suis présent dans presque tous les réseaux sociaux sauf Skype. Et 90% de mes communications avec mon téléphone au Sénégal se font par SMS. J’émets rarement un appel.
Khary Diène : Est-ce que le bégaiement est une maladie ? Est-il héréditaire ?
La plupart des médecins qui traitent le bégaiement (comme les orthophonistes) parlent de trouble plutôt que de maladie. Et, pour le moment, il n’est pas démontré que le bégaiement est héréditaire car il n’est pas encore établi qu’il peut avoir une origine génétique. Mais à mon avis cela ne va pas tarder. Selon les spécialistes, un parent qui bégaie a 3 fois plus de chance d’avoir un enfant bègue qu’une personne normale.
Abdou Zaati, Khary Diène, Daouda Niang : Y a-t-il un remède pour le bégaiement ?
Il y a beaucoup de thérapies, plus au moins efficaces, qui sont proposées pour atténuer ou faire disparaître le bégaiement. Cela va des méthodes de rééducation aux traitements pharmaceutiques. Le dernier médicament testé en 2010 s’appelle le Pagoclone. Mais les résultats n’étaient pas très satisfaisants parait-il. Les recherches se poursuivent à l’heure actuelle.
Je vais terminer par une phrase de l’orthophoniste Anne Marie Simon sur RFI : « Sortir du bégaiement n’est nécessairement ne plus bégayer. C’est faire en sorte que le bégaiement ne joue plus un rôle dans sa vie, que rien de ce trouble ne vient influer sur les décisions que l’on prend sur le plan professionnel, sur le plan affectif ou dans la vie quotidienne… Qu’on dise ce qu’on veut, où on veut et à qui on veut. »
PS : Pour plus d’informations, vous pouvez écouter l’émission Priorité Santé sur RFI (antenne Afrique) demain (23 octobre) à 9h10’ TU.
Arouna BA
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